Anne
« Pour moi ici au début ça été une cité-dortoir. C’est pareil, je suis venu ici parce que j’ai divorcé. Et moi j’avais un loyer trop cher à Paris. Donc c’est pour ça que j’ai abouti ici. Et pour moi c’était du provisoire. Ben écoutez on est en 2017. 73, calculez… Ça fait 43 ans. »
« Je suis une enfant de Paris, mais la limite de Paris. J’étais sur ce qu’on appelait les portes de Paris. J’étais pas loin de la porte de Montreuil. C’est ce qu’on appelait la Zone à l’époque. C’est-à-dire que vraiment il y avait pas de constructions, il y avait des clochards, c’était vraiment ce qu’on appelait la Zone. Et donc moi j’ai connu ces banlieues là, ou c’était super populaire. Prenez les Lilas, prenez Romainville. Toutes ces banlieues là c’est ce qu’on appelait les banlieues rouges. C’est devenu quoi… Tous les gens qui peuvent plus habiter Paris, qui ont quand même des moyens et qui envahissent. Et pas toujours de la bonne façon. Nous on est quand même à 7 km hein, faut quand même réaliser ça. On est à 7 km de la Chapelle, hein. Ca peut être vite fait… S’il arrive le métro… Puisqu’il est question du métro…. »
« La plus grande joie… D’avoir retrouvé quelqu’un au bout de 47 ans. Le premier amour de ma vie. Avec qui j’ai failli me marier, mais j’ai choisi mon époux vietnamien. »
« J’avais un correspondant espagnol. Il était à Madrid. Ça se faisait au lycée. […] On avait vraiment des atomes crochus parce qu’on aimait la littérature tous les deux, on aimait la peinture. Donc on avait beaucoup de sujets de conversation. Et puis on a lié des liens assez forts par courrier et tout. J’ai bossé un mois pour me payer des vacances en Espagne. Parce que ça me donnait l’occasion de rencontrer ce correspondant espagnol... dont j’étais plus ou moins amoureuse. Donc on est parti tout un groupe d’étudiants, par le train hein, et on allait à Malaga. Pour moi c’était le bout du monde, d’abord j’avais jamais vu la mer d’aussi près. Et en plus toute seule sans ma famille, seulement mon frère. Donc je l’ai rencontrée, mais j’avais rencontré entre temps mon futur mari en bossant pendant un mois. Et donc j’ai eu un choix à faire. Et c’est vrai que c’est assez marrant, il m’a raconté après que je lui avais vraiment brisé le cœur. Et je lui ai expliqué que j’avais fait mon choix, et que ce serait un mensonge. Je mentirais à même avoir des relations écrites avec lui parce que je m’étais engagée autrement. »
« Il a continué.. Ma mère me cachait le courrier, et lui son père.. Quand je suis rentré en France j’lui ai écrit pour m’excuser parce que j’ai considéré que j’m’étais mal comporté donc je lui avais envoyé un courrier. Mais son père de son côté, ayant vu que son père faisait de la déprime, a jeté mon courrier. Donc on s’est trouvé tous les deux complètement coupés. J’ai perdu son adresse, mais j’avais toujours en tête -parce que franchement c’était quelqu’un de très intéressant.
J’ai internet, j’ai un ordinateur depuis 2007. J’ai découvert les copains d’avant, et je me suis dit faut que je retrouve mes amis de lycée. Et puis un jour j’ouvre le truc et je vois apparaître le nom Juan Pablo Del Campo Manzano, Madrid, Journaliste. Je dis mais c’est pas possible, je le connais. C’est le Juan Pablo que j’ai connu. Donc j’ai engagé, j’ai répondu. Il m’a pas répondu tout de suite parce qu’il m’a expliqué après, pour lui c’était pas possible, qu’il y avait quelque chose qui était pas possible au bout de 47 ans. Et donc j’ai récidivé et je lui ai donc spécifié qu’on s’était connu en 64 mais qu’auparavant on s’était écrit pendant au moins 3 ans, qu’on s’était rencontré à Fuengirola et je lui ai même dit les petits cadeaux, je lui avait envoyé un petit lion en peluche, lui il m’envoyait des poètes de poètes espagnols, Antonio Machado et tout.. Et donc l’a il a tilté et il a dit c’est elle. »
Ma fille m’a dit t’es folle, tu te rends compte, les trucs de rencontre, comme ça sur internet, ça se trouve t’es tombée sur un maniaque, t’es tombée sur un malade ». Je lui ai dit écoute, ça concorde totalement, on a exactement les mêmes souvenirs, ça concorde effectivement. Il n’y a pas de soucis. On s’envoyait pas de photos, hein. Simplement discuté. On a tout retrouvé. Ce qui fait qu’à partir de 2011, on a entretenu une correspondance par mail. Mais alors des pages entières... Déjà quand on se connaissait, il m’envoyait des lettres, il y avait au moins dix pages. On a continué à correspondre et puis on a fini par se rencontrer. C’est-à-dire que je suis retourné en Espagne en 2012. Et puis j’y retourne de temps en temps, je retourne en Espagne. Mais on a toujours… notre petit côté câlin quoi.
« Il y a beaucoup de gens qui sont partis. C’est le fait que la cité des Tilleuls se soit transformée. »
« Est-ce que j’ai eu très peur dans ma vie ? Je crois pas. Je suis pas quelqu’un de trouillarde. Je crois que ça doit être c’est pour ça. J’ai failli mourir puisque j’ai eu un infarctus, mais j’ai même pas eu peur. En 2003, un an après avoir pris ma retraite. J’ai même pas eu peur honnêtement. Je me suis laissé prendre en charge et j’ai dit, il adviendra ce qu’il adviendra. J’ai suivi ce qu’on me faisait. Le chirurgien m’a expliqué, j’ai tout suivi. Et puis j’ai dit maintenant je suis entre leur mains de toute façon moi je peux rien faire. Si je dois mourir je meurs.
[…]
La plus grosse peur je crois que ce serait celle de mourir, mais je vous dis, ça s’est présenté pour moi et je me suis dit bon… j’y peux rien. »
« De voir toute sortes de personnes. Moi les gens me disent bonjour, je les connais pas nécessairement. Il y a des gens que je connais pas, je sais pas où ils habitent qui me voient, qui me connaissent et qui me disent bonjour. Moi le supermarché c’est bien gentil mais bon moi ce que j’aimais dans les magasins c’est pouvoir parler avec les commerçants, pouvoir avoir des échanges justement.
Il y a des jeunes qui m’appellent "ma cousine". Ils sont très respectueux en plus. Ils sont mignons comme tout mais bon. Mais j’aimerais que les Tilleuls ça se transforme. Pour le bien de tous. »
Le manque d’entretien des Tilleuls. J’ai rien contre la population des Tilleuls. C’est de les avoir laissés dans cette décrépitude, ça me choque. Et avoir laissé s’installe cette décrépitude. Parce que ça s’est pas fait d’un coup hein. Ça c’est pas fait du jour au lendemain. Ça été progressif.
Vous allez à Salomon de brosse c’est, c’est.. c’est sordide. C’est sordide. C’est pas normal. C’est inhumain de laisser les gens vivre comme ça. Et moi je pars du principe que si on rénove pas si on met pas le propre, et ben ça à tendance à se dégrader encore plus.
On parle beaucoup de communication qui n’est en fait pas de la communication. La communication c’est un échange, pouvoir émettre une opinion, pouvoir discuter de cette opinion, avoir quelqu’un en face qui n’a pas forcément la même opinion que soi et avoir la possibilité justement d’engager une conversation et échanger et pouvoir défendre son point de vue, sans que ça tourne à l’émeute.
Je crois qu’il y a un phénomène d’intolérance qui s’installe de plus en plus. J’ai l’impression qu’on va tomber dans une société qui s’observe les uns des autres. J’sais pas si on va tomber dans la délation. C’est le petit côté malsain.il y a des petits côtés malsains qui sont en train d’apparaître et qui me déplaisent.
A partir du moment où les gens se parlent plus, il n’y a plus de vie sociale.